Dossier > Freud et les neurosciences
Du point de vue de la théorie et, partant, de la totale rigidité des programmations reptiliennes, le stress cognitif est un stress comme un autre, au sens où sa survenue traduit un danger. Mais ce danger est interne. Notre propre intelligence supérieure nous prévient que nous sommes en danger et nous ne le comprenons pas. Ou, parfois, nous faisons mine de ne pas comprendre et nous le refusons. Pour illustrer cela, nous nous plaisons souvent à dire que notre cerveau ressemble à une agora et se comporte comme une population de neurones bien plus que comme un cerveau véritablement homogène, au sens où le préfrontal semble l’être.
Sigmund Freud © Wikipedia
Cela s’explique par l’empilement de structures issues d’époques et de contextes évolutifs très différents, de capacités résultantes très hétérogènes. De plus, ces divers niveaux fonctionnels gèrent aussi des contraintes très contrastées, voire contradictoires ; par exemple, manger ou dormir n’est pas toujours compatible avec la préservation de sa sécurité en contexte sauvage. Il en résulte donc des tensions et autres conflits. Le stress est un indicateur majeur de con.it interne. Plus de neuf fois sur dix, en situation humaine, nous l’avons vu, le conflit qui nous stresse est interne plus qu’externe. Et c’est le préfrontal qui mène la fronde.
Freud avait anticipé les conflits de générations entre structures cérébrales (entre le ça, le surmoi et le moi). Mais cette confrontation prenait une forme assez équilibrée et conforme à l’intuition commune entre :
* des pulsions primitives, qui transcrivent au quotidien nos besoins biologiques ;
* notre intelligence qui doit intégrer le « principe de réalité » et qui négocie des compromis « plus ou moins mal taillés » (allant de la sublimation freudienne à la résilience promue par Boris Cyrulnik).
On pourrait considérer ce modèle comme une sorte de transcription biologique des oppositions culturelles entre les anciens et les modernes, la tradition et l’innovation, la sécurité et le risque.
Dans notre propre vision, le débat est plus déséquilibré :
* D’un côté, il y a, si l’on force le trait, un « axe surdoué » préfronto-reptilien (les anciens et les modernes coalisés) qui relie en direct les besoins biologiques internes et l’adaptation externe à l’environnement, par le canal notamment de l’intelligence sous sa forme la plus aboutie, rationnelle, globale, synthétique, créative, ouverte et évolutive en temps réel. Cet axe est ouvert sur le présent et le futur, il intègre « en temps réel » nos besoins biologiques et les met en contexte dans une perspective dynamique reliant le passé au futur.
* De l’autre, un « axe myope et craintif », qui ne voit clairement ni l’interne, ni l’externe. Il est l’expression du « monde du milieu », celui du néocortex sensorimoteur qui tâtonne, qui comme Thomas a besoin de voir, toucher et faire, et celui du cortex limbique qui déforme souvent par le prisme des émotions, projections contingentes, issues du passé et décalées dans un monde qui bouge… Cet axe fonctionne « au niveau des apparences », au premier degré et à court terme. Au fil de l’âge et des mésaventures de chacun, il tend à s’enfermer dans son passé, ses préjugés, ses appréhensions, à devenir psychorigide et évitant.
Le choix semblerait vite fait si… cela ne semblait pas être un choix « contre nos intérêts », si nous n’étions pas le second ! Car, encore une fois, le premier est essentiellement inconscient, le second est au cœur de notre conscience. Nous sommes en fait dans le mauvais wagon. Tout le « beau monde » est dans l’autre. Seulement, ce n’est pas cet « autre » qui a le pouvoir, c’est-à-dire la conscience, véritable organe décisionnel.
Il y a donc, d’une part, un « robot » plénipotentiaire, c’est-à-dire nous, notre conscience « de base » ; de l’autre, le trésor de la technologie évolutionniste et biologique qui émarge en « prison », sans moyen direct de communiquer, sinon par l’intuition créatrice – au mieux –, le stress – au pire ! Ce « nous » caché, virtuel, attend depuis la nuit des temps son heure de gloire qui n’est pas encore vraiment arrivée… à moins que les choses ne se précipitent. Il serait temps.
Deux modes de vie
On comprend mieux pourquoi le préfrontal semble parfois être suspendu au signal d’alarme. Or, le plus « grand », en l’occurrence le préfrontal inconscient, reste le témoin à la fois passif et lucide de toutes les bêtises et autres approximations court-termistes du « petit ».
Imaginez-vous attaché/bâillonné sur le siège du passager avant d’une voiture puissante dont le conducteur est myope, un peu amnésique, excessif, voire un peu attardé. Pour toute ressource, vous pouvez tenter de parler au conducteur à travers le bâillon. Il ne comprend pas, ou de travers ce que vous voulez, et surtout refuse de le faire, car ce que vous êtes, pensez, désirez ne lui plaît pas. Accessoirement, il vous reste la possibilité de tirer sur le signal d’alarme. À moins d’ailleurs que votre malaise ne déclenche automatiquement l’alarme. Alors, il est plus facile de comprendre pourquoi il n’est pas si aisé « d’être grand », au sens de « laisser faire » sans rien dire.
En fait, ce sont deux styles de vie qui s’opposent. En dehors des vacances, où il n’y a pas de grands enjeux (encore que !), ces deux grands blocs sont bien souvent en désaccord sur tout, ou presque. Mais, ne peut-il y en avoir un qui serait « plus grand que l’autre », pour que les chamailleries s’arrêtent et que la paix revienne dans notre tête ?
Hélas, non ! Les choses se compliquent encore, car, comme nous allons le voir, ce con.it est d’abord structurel. Il est en quelque sorte ancré « dans le dur », gravé dans le marbre de notre constitution (ADN).
La complexification et l’amélioration globale de la performance de notre cerveau, au fil de millions d’années et de milliers d’espèces, ont donc leur rançon en termes de dysfonctionnement interne. Le bricolage de l’évolution est certes génial. Il n’est parfois que bricolage. À nous de rassembler certains morceaux pour faire que cela marche mieux « à l’endroit ». C’est là que les neurosciences commencent à nous apporter des réponses très concrètes et que l’on pouvait difficilement anticiper sans « ouvrir le capot ».
Ce texte ("Du point de vue de la théorie et, [...] "ouvrir le capot".") correspond aux pages 26-30 du premier chapitre de «L’intelligence du stress», le dernier livre publié par Jacques Fradin, Directeur de l'IME, aux Editions d’Organisation, Groupe Eyrolles, Paris, 2008.
RépondreSupprimerPour plus d’information, vous pouvez consulter le site dédié à cet ouvrage (www.intelligencedustress.net), le site de notre Institut (www.ime.fr) ou encore nous adresser un mail (info@ime.fr).
Céline Canis, Responsable Communication de l’Institut de Médecine Environnementale (IME)